Dénichés au Royaume-Uni, des exemplaires “uniques” de Don Quichotte mis aux enchères

Devant une immense étagère, Ed Maggs admire des livres anciens qui font depuis 170 ans la renommée de sa librairie familiale à Londres. C’est là qu’un diplomate bolivien a acquis il y a près d’un siècle deux volumes “uniques” de Don Quichotte, aujourd’hui mis aux enchères.

Nommé ambassadeur de Bolivie en France en 1947, Jorge Ortiz Linares était le gendre du “roi de l’étain” Simon Patino, un Bolivien vivant à Paris qui avait fait fortune dans l’industrie minière au début du XXe siècle.Fervent collectionneur, M. Ortiz était en quête d’une édition originale de “Don Quichotte”, le célébrissime ouvrage de Miguel de Cervantes aujourd’hui considéré comme le premier roman moderne.L’histoire du pauvre gentilhomme fou de lectures qui se prend pour un chevalier redresseur de torts connut un succès foudroyant dès sa publication en 1605.Dans les années 1930, ses recherches conduisent M. Ortiz dans la capitale britannique, “probablement le lieu le plus important pour le commerce international de livres anciens”, explique à l’AFP Ed Maggs.

Ce dernier est l’arrière-arrière-petit-fils d’Uriah Maggs, qui, en 1853, fonde sa propre petite librairie, celle-ci devenant au fil des ans un établissement reconnu des rois britanniques et des monarques en exil tels que Manuel II du Portugal et Alfonso XIII d’Espagne.

Après cinq générations, la librairie Maggs Bros en est venue à posséder 1.358 éditions rares de livres en langue espagnole, rassemblées dans un catalogue paru en 1927 “encore cité par les bibliographes aujourd’hui”, affirme Jonathan Reilly, un expert de la librairie Maggs.

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– Quête “obsessionnelle” –

 

Il montre des ouvrages qui tapent dans l’oeil de M. Ortiz à l’époque : deux éditions originales de Don Quichotte, le livre I publié en 1605 et le livre II publié en 1615, en vente pour 3.500 livres, “une véritable fortune pour l’époque” (l’équivalent de 174.000 livres -201.000 euros- d’aujourd’hui selon le convertisseur de la Banque d’Angleterre).

Mais quand le collectionneur entre dans la librairie, l’objet de son désir a déjà été vendu et il se résigne à laisser ses coordonnées en attendant une nouvelle arrivée d’ouvrages.

Des années plus tard, en 1936, il reçoit l’appel tant attendu du libraire et entreprend un voyage précipité vers Londres.

“Pourquoi a-t-il pris le premier avion ? Le collectionneur de livres est parfois enthousiaste et un peu obsessionnel”, plaisante Ed Maggs.

M. Ortiz finit par acheter une troisième édition du livre I et une première édition du livre II, explique Anne Heilbronn, la responsable des livres et manuscrits à la maison de vente aux enchères Sotheby’s.

Il a payé 100 livres de l’époque pour la première et 750 pour la seconde. Depuis lors, les livres sont restés hors de vue du public, mais on peut désormais les admirer au siège de Sotheby’s à Londres, avant une vente aux enchères le 14 décembre à Paris où les ouvrages devraient se vendre de 400.000 à 600.000 euros.

Les premières éditions du livre I de Don Quichotte sont rares car, envoyées en masse en Amérique latine, beaucoup ont été perdues dans un naufrage près de La Havane, rappelle la maison de vente.

Parue en 1608, la troisième édition fut la dernière imprimée du vivant de Cervantès et corrigée par lui, souligne Mme Heilbronn, qui assure que “toutes les traductions qu’on a aujourd’hui viennent de cette troisième édition”.

Mais ce qui rend ces livres “uniques”, c’est qu’ils ont été reliés au XVIIIe siècle pour un collectionneur anglais et il est très rare de trouver des Don Quichotte avec des reliures aussi anciennes, ajoute-t-elle.

Le 21 décembre 1936, M. Ortiz profite de sa visite chez Maggs Bros pour acquérir trois autres bijoux : une première édition des “Novelas ejemplares” (1613) de Cervantès, “La Florida del Inca” (1605) dans laquelle Garcilaso de la Vega raconte la conquête de l’Amérique du point de vue des indigènes et l'”Hispania Victrix” (1553) sur la conquête du Mexique, le premier ouvrage de l’histoire à mentionner la Californie.

Mercredi, les cinq ouvrages vont retrouver pendant quelques heures la mythique librairie avant de partir pour Paris où ils seront vendus aux enchères avec les 83 autres pièces de la collection Ortiz Linares, rassemblées avec l’aide de l’expert Jean-Baptiste de Proyart.

Parmi elles, on trouve une première édition du livre de gravures de Goya “La Tauromaquía” (1816) et de grandes éditions originales d’auteurs français tels que Molière, Montesquieu, Montaigne et Descartes. Le total des ventes est évalué à entre 1,8 et 2,5 millions d’euros.

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